Est-ce que j’aime écrire ?
Oui. Pas toujours. Des fois, absolument pas.
Quand on me pose cette question… enfin, surtout, quand je me la pose, parce que mes proches en ont ras la casquette de m’écouter faire « ouin ouin, c’est dur d’être une autrice publiée, » alors qu’à leurs yeux, ce qu’il m’arrive cette année est mérité, beau et génial.
Et ça l’est.
Aussi. Pas tout le temps. Bref, vous avez compris, c’est compliqué.
J’ai conscience d’avoir intégré une sorte de cercle des vainqueurs des Hunger Games éditoriaux. Quand on a survécu à l’arène, aux soumissions de manuscrit, au désespoir face à sa boîte mail vide, à l’attente insoutenable, aux refus sans réponses, aux codes Librinova et aux refus argumentés où on comprend que c’est vraiment passé à un cheveu, on n’a plus trop le droit de se plaindre. En théorie, bien sûr, parce qu’on découvre ensuite que l’édition et la sortie d’un roman n’ont rien d’une promenade de santé.
On découvre le boulot monstre qu’il reste, les délais serrés du monde du livre, les concessions et le vide post sortie (voir mon précédent numéro, aka les 8 leçons que j’ai apprises depuis que je suis publiée). Et du coup, on – du moins, encore une fois, je – lance des newsletters pour s’épancher et donner un tournant un tantinet plus productif et constructif à nos lamentations, en espérant qu’elles résonnent avec nos pairs et que peut-être, un dialogue s’ouvrira, histoire de se sentir moins seul·e face à nos doutes, alors qu’on a quand même réalisé notre rêve.
♦ L’écriture et l’édition
Vous l’avez sans doute compris si vous avez lu les précédents numéros de cette infolettre, ou même simplement la courte introduction de celui-ci : depuis que je suis publiée, je me pose beaucoup de question, autant sur l’écriture que ma place dans le monde du livre. Maintenant que le creux de la vague suivant la publication de mes deux premiers romans est passée, et que le vide intersidéral que j’ai ressenti en lâchant dans la nature des années de travail se dissipe, j’ai repris l’écriture.
Je ne veux pas dire par là que j’ai établi mon plan de carrière ou cimenté ma présence en ligne comme sur le terrain pour défendre mes romans, ni que j’ai fait une étude de marché pour déterminer quelle formule me permettrait de continuer mes aventures éditoriales avec autant, sinon plus de succès. Au contraire : je m’évertue à détacher le plus possible l’acte créatif initial de la suite.
Mais quelle suite ? Eh bien… tout ce qui concerne la publication future et éventuelle de mes manuscrits, autant les envois en maison d’édition que la sortie d’un roman, en passant par la négociation d’un contrat et tout ce qui concerne sa communication et sa promotion. J’ai besoin de simuler une amnésie partielle, d’oublier le biz, de faire comme si rien de tout cela n’existait. Je m’en suis rendue compte assez vite en reprenant le manuscrit de romance contemporaine que j’avais amorcé avant la signature des deux tomes de La Sorcière & le Protecteur : si je pense à l’avenir de ce roman, je ne le terminerai jamais. Pareil pour les autres, ceux pour lesquels je me surprends à rêvasser et faire des recherches préliminaires en prévision de la fin de premier jet de ma romance.
Ces derniers temps, les moments où je parviens à écrire, sont ceux où je crée pour le simple plaisir de créer. Pour raconter les thématiques qui me sont venues avec mes personnages et leur histoire, pour pouffer face à leurs répliques, leurs traits d’esprit, et pour explorer en profondeur des émotions ou des variations de thèmes qui me sont chers à travers leurs états d’âme. En ce moment, je prends plaisir à écrire, pas à imaginer mes prochaines publications.
Ce serait donc un premier élément de réponse : oui, j’aime écrire, mais pas être publiée.
Sauf que c’est faux. J’écris pour être lue. Sur internet, au début, certes, mais aussi maintenant par le grand public. J’aime voir mes romans en librairie. J’aime les savoir dans la bibliothèque, le sac ou sur la table de nuit de mes lecteurices. J’aime consulter des retours sur mes textes. J’aime aller en dédicaces, et parler avec animation de ma romantasy.
♦ Amour vs nécessité
Du coup, je me suis posée une seconde question : peut-être que j’aime écrire et être publiée, mais je n’en ai pas besoin. Sauf que * bruit de buzzer de questions pour un champion * non, encore raté. J’ai traversé à l’entrée dans l’âge adulte une longue période dépressive, où je n’écrivais plus de fiction. Je m’épanchai dans des chansons et des articles de blog format racontage de vie, puis même ça, j’ai arrêté, à un moment. Je n’avais plus la force d’écrire, je n’avais plus le courage de me livrer et d’affronter mes mots, tout comme le regard critique de celleux qui pourraient tomber sur mes textes, mais ça me manquait.
Assez pour que je reprenne finalement avec une fan fiction, modeste, au départ, qui est devenue La Sorcière et le Protecteur et que j’ai emmené plus loin que je ne l’aurais cru possible.
Et je crois que là où j’ai pour le moment le mieux exprimé mon rapport pas toujours simple à l’écriture, c’est dans mon manuscrit actuel. Je vous partage donc un petit esprit du premier jet de ma romance contemporaine, où l’une des deux protagonistes, Valentina, autrice en pleine fuite en avant, discute avec son colocataire :
— Je n’ai rien choisi, tu sais.
Cette phrase claque dans le silence comme le fouet d’un dresseur de fauves dans un cirque désert. Je ne sais pas pourquoi j’ai dit ça. J’ignore aussi pourquoi je continue à déblatérer ensuite :
— J’ai arrêté d’écrire, pendant longtemps, même pour m’amuser, ou alors des bouts d’idées dans les notes de mon téléphone ou sur les serviettes des restaurants. Parce que ça me faisait mal, tellement mal, de me mettre autant à nu, de risquer le rejet, si quelqu’un me lisait. Ma famille, des amis, des inconnus ou un comité de lecture, peu importe. Pendant un temps, c’était plus simple de juste laisser s’atrophier cette partie de moi, jusqu’à ce qu’elle ne soit plus qu’un espace vide dans ma poitrine. Un trou béant que rien ne parvenait vraiment à combler. J’ai fini par trouver une certaine stabilité. Financière. Relationnelle. Une confiance relative en moi, pas forcément en mes aptitudes, mais au moins un début de certitude quant à la personne que je suis. Des fondations solides, pour ne plus vaciller à chaque coup de vent, tu vois ? Et à ce moment-là, ce qui est devenu vraiment douloureux, c’est de ne plus écrire. Alors j’ai repris. J’espérais, bien sûr, que mon premier vrai roman, c’est-à-dire le seul que je réussirais à terminer, soit celui qui m’ouvrirait les portes des librairies, parce que quand j’écris, c’est pour être lue, sinon tout fini à la corbeille, mais…
— Val, respire, m’encourage mon colocataire en traçant doucement des petits cercles sur mes omoplates.
— Maintenant que c’est le cas, que mon livre est sorti, parce que oui, il est sorti aujourd’hui, je ne sais pas si c’était une bonne idée, continué-je en reniflant plutôt que de suivre les conseils de mon ami. Je ne l’ai dit à personne à L.A., parce que j’ai fui. Tu comprends ? J’ai été lâche. Quelques semaines avant le grand jour, j’ai paniqué. J’ai pris le premier vol pour la Californie, parce que mon père y vit, et que même si je ne me suis pas pointée sur son palier, savoir que je suis dans la même ville que lui devrait rassurer ma mère et l’empêcher de créer une alerte enlèvement. Ils ne se parlent plus, je doute qu’elle ait pris la peine de vérifier, de toute façon.
— Attends, ton père habite à L.A. ? s’exclame Nyx. Et comment ça, pas une bonne idée ? Si ton roman arrive ne serait-ce qu’à la cheville de ce que je lis sur AO3, on n’a pas la même définition de ce qu’est une erreur, ma belle.
— J’ai conscience de ne pas être une écrivaine si catastrophique, admets-je avec un sourire triste. C’est ça, le pire. Mais comme je te le disais au début, je n’ai pas choisi l’écriture. Sans elle, je suis à la fois vide et sur le point d’exploser, tellement ça bouillonne, là-dedans, et ici aussi.
Je pointe tour à tour mes tempes, puis mon cœur.
Donc oui, j’aime écrire. J’en ai même besoin. Mais une nuance s’est imposée à moi, quelques jours après mon déménagement. J’ai besoin d’écrire, mais ce n’est pas un besoin vital.
♦ Mer de cartons et dissociation
« Mais vous êtes vraiment un chat », m’a dit ma psychologue quand je lui expliquais à quel point changer de logement avait un effet dévastateur sur moi. Depuis que nous avons trouvé notre nouvel appartement, je retiens mon souffle. Mi-août, quand tout s’est concrétisé, de la signature du bail aux démarches administratives, en passant par les fatidiques premières affaires mises en boîte, une partie de moi est passée en mode survie. Savoir que nous allions peu à peu déconstruire et mettre en cartons notre chez nous, puis le transporter ailleurs, m’a paralysée.
Je me suis raccrochée au travail (celui qui remplit mon frigo) comme à une bouée, et à certains moments, avancer sur mon manuscrit me permettait de me reconnecter à moi-même, c’est vrai, et de m’évader un peu. Mais la plupart du temps, il m’était impossible de me replonger dans l’histoire de Valentina et Aiden (oui, je suis sympa, je vous lâche les deux noms de mes nouveaux protagonistes 🤭) tant je voyais peu à peu s’effriter la sécurité mentale dont j’ai tant besoin pour créer.
Ne plus reconnaître mon intérieur et anticiper la conquête d’un nouveau chez nous ont fini par avoir raison de ma motivation créative. Les ultimes semaines avant le déménagement, je ne pouvais que contempler la montagne de cartons et continuer de la faire grossir, et les suivantes, j’ai eu besoin de me créer un début de cocon avant de respirer à nouveau. La première fois que j’ai repris l’écriture, d’ailleurs, c’était dans le train. Je laisserai aux psychologues de comptoir analyser la symbolique de se sentir plus en sécurité dans un géant de métal en mouvement que dans un intérieur qu’on ne reconnaît plus.
C’est un constant très tarte à la crème, qui a d’ailleurs été théorisé et imagé avec la pyramide de Maslow, mais les besoins d’accomplissement (dont la créativité) arrivent tout en haut, donc en dernier, dans les priorités d’un individu. Il faut, pour créer, avoir une base solide, cimentée par d’autres besoins primordiaux déjà satisfaits. Il nous faut donc déjà combler nos besoins physiologiques, puis de sécurité, avant de pouvoir s’épanouir sur le plan artistique.
♦ Vilaine méritocratie
Cette idée va complètement à l’encontre du mythe de l’artiste torturé·e, qui aurait besoin de souffrir et d’en baver pour pondre un poème, un roman ou un tableau digne de ce nom. Je déteste ce mythe depuis longtemps, sans trop savoir pourquoi (sauf quand c’est Ewan McGregor qui pleure dans Moulin Rouge en marcel devant sa machine à écrire, mais ça, c’est une autre histoire), et je crois que je comprends un peu mieux ce qui me révulse dans l’idée de devoir vivre d’art et d’eau croupie, dans une mansarde aux carreaux cassés. Voir ma base chamboulée, mon cocon auquel je tiens tant, indisponible, a coupé mes vannes créatives. Parce qu’écrire, ça demande de l’énergie, de la disponibilité mentale et aussi, d’aller bien. Je vous le jure, vraiment : j’écris mieux quand je vais bien.
Je sais, ce numéro est placé sous le signe des gros sabots qui volent dans les portes ouvertes.

Mais j’avais besoin de poser ces évidences, déjà parce que j’ai vu bourgeonner sur les réseaux des critiques de certaines auteurices osant affirmer qu’écrire, des fois, c’était difficile, puis ces mêmes artistes se faire accuser de défendre une prétendue méritocratie. Franchement, c’est plutôt l’inverse qui me semble alimenter un mythe de positivité toxique qui sent bon le capitalisme. Produire, qu’importe votre état, ce n’est quand même pas une rengaine super de gauche. Prétendre que l’art suffit à aller bien, c’est nier le privilège qu’octroient une bonne santé physique, comme mentale, ainsi que des revenus suffisants pour avoir un toit sur la tête et l’aménager pour s’y sentir bien.
Quand je vais bien, j’écris mieux. Quand mon trouble anxieux me ronge, quand je ne dors plus, quand j’ai peur, quand mon endométriose m’assomme, je n’écris pas. Déjà car j’en suis incapable, mais aussi parce que le résultat sera sans doute tout pourri. Je conçois à fond que l’écriture soit une échappatoire d’un quotidien nul par moment, mais je ne vois pas en quoi cette vision – que j’ai expérimentée aussi, hein – soit une antithèse à l’idée que les difficultés du quotidien, les troubles psy et les handicaps puissent aussi impacter notre art. On peut mettre un point final à des romans incroyables en vivant dans la précarité, mais aussi en souffrant de handicaps et de troubles psy. Ça prend juste plus de temps, d’énergie et de force.
Que l’écriture soit un bol d’air, oui, notre priorité absolue, pas nécessairement.
On a le droit d’aimer écrire, d’en avoir même besoin en général, mais d’avoir parfois les larmes aux yeux et le cœur dans les chaussettes quand on fixe sont écran depuis des heures, et que rien à faire, aujourd’hui ça ne veut pas. Parce qu’on a trop mal, à l’âme ou au corps.
J’ai commencé ce numéro en disant que je ne m’aimais pas toujours écrire. Après ces 2000 mots et quelques de blabla, je nuancerais cette accroche en ajoutant que je prends plaisir à faire vivre mes personnages, inventer des mondes et donner vie aux scènes qui se bousculent dans ma tête sur un document Word, mais que je déteste quand je dois presser mon cerveau et mon corps, tous les deux récalcitrants, comme des vieux citrons tous moisis.
Ce que j’aime, c’est l’acte d’écriture, pas ce qui me le rend difficile quand ma pyramide de Maslow personnelle est fucked up.
Ce que j’aime, c’est écrire.
Ce que je déteste, c’est mon anxiété, les difficultés qui jalonnent un parcours éditorial, mes maladies gynécologiques, mon syndrome de l’imposteur qui me crie que je suis nulle, mon trouble de la personnalité borderline qui en rajoute une couche certains soirs, la page blanche quand je suis trop épuisée pour noter autre chose que “va te coucher et recommence demain”. Libre à vous de rajouter dans ce sceau de mélasse les difficultés qui vous concernent de plus près, j’ai conscience que mon cas n’a rien d’un exemple type ou exhaustif.
Bref, l’écriture est parfois une joie, parfois une plaie, parfois un luxe, parfois une nécessité, mais jamais une bulle déconnectée du reste de notre vie.
Merci de m’avoir lue et à bientôt pour un nouveau numéro !
Marêva. 💜
Si vous avez envie de me lire un peu plus : Les deux tomes de ma romantasy, la Sorcière et le Protecteur, sont disponibles en librairie & en ligne. Si vous aimez les sorcières au caractère bien trempé, les chevaliers torturés par leur honneur, le slow burn, la magie et l’aventure, cette duologie pourrait vous plaire !
Côté actualité, je serai en dédicaces à :
📌 Besançon, le samedi 16 novembre (librairie l’Intranquille, de 15h à 18h)
📌 Clermont-Ferrand, le samedi 30 novembre (Momie librairie, horaires à confirmer)
📌 Dunkerque, le samedi 14 décembre (La Bouilloire aux livres, de 15h à 18h)
📌 Marsannay la Côte, Le 21 décembre (l'espace culturel Leclerc, de 15 à 18h)
Je me retrouve tellement dans cette lettre, et je n’avais pas fait le lien avec mon déménagement non plus, et pourtant, on peut dire que ce chamboulement, le fait que mon appart soit en travaux depuis deux ans (et que du fait, je ne puisse pas me créer mon cocon pour écrire) joue beaucoup. Il va vraiment falloir que je prenne ce temps pour me recréer cet espace !
Merci pour cette (comme toujours) belle édition 🫶