Je suis la première à dire qu’il est impossible de séparer l’œuvre de l’artiste.
Notamment quand il s’agit de boycotter les productions artistiques de cinéastes, acteurs·ices et romancier·ères accusé·es de violences sexistes et sexuelles, de prises de position racistes, queerphobes ou allant à l’encontre de mes convictions. Pour reprendre une analogie un peu tautologique mais diablement efficace, mangeriez-vous le pain de votre boulanger si ce dernier était condamné pour meurtre ? Sans doute pas, même s’il fait les meilleures baguettes du quartier. La mie moelleuse et la croute croustillante prendront un goût de cendre dans votre bouche.
Il en va de même avec les romans, films et musiques que nous chérissons. Si la personne qui a créé puis porté ces projets publiquement vous est soudain exposée sous une tout autre lumière, il est fort probable – et souhaitable – que vous reconsidériez ses œuvres et ne les perceviez plus comme avant. Difficile de ne pas évoquer les réflexions qui traversent la communauté Harry Potter suite aux sorties et aux actions transphobes de J.K Rowling – je vous conseille à ce sujet l’excellent dernier numéro de la newsletter de Ielenna – ou aux appels et cris du cœur de victimes de violences sexuelles, actrices et militantes quand Roman Polanski (accusé de viols sur mineurs) est nommé aux Césars. Je suis la première à dire qu’on ne peut pas séparer l’œuvre de l’artiste. Cette première newsletter n’a pas vocation à plaider pour une distinction entre individu et production artistique, mettons-nous déjà d’accord sur ce point.
Mais depuis que mon roman est sorti, j’aimerais en être capable.
Pas parce que j’ai des casseroles aux fesses, ou parce que j’ai honte de ce que je raconte dans La Sorcière et le Protecteur, au contraire, mais parce que tout ce qui entoure mon roman m’éclabousse.
J’aimerais être capable d’ériger une barrière protectrice entre lui et moi, mais nous sommes profondément liés. Quand on déverse autant de soi dans une création, il est difficile de « laisser son roman vivre sa vie. » Comme je ne peux plus voir de films de Woody Allen, tant j’ai eu la nausée quand j’ai tenté l’expérience en 2015 face aux postures victimaires de ses personnages masculins, tant je remarquais un discours nauséabond autour de l’amour dû aux gentils garçons, si typique des agresseurs, finalement… Je ne peux pas détacher ma personne de mes écrits.
J’ai un rapport à l’écriture très intime. J’ai besoin pour commencer – et surtout terminer – un manuscrit qu’il contienne de vrais bouts de moi, comme dans les yaourts aux fruits non mixés. Si j’ai dépassé le stade du self insert depuis mes premières années fanfictions, mon processus de création passe nécessairement par un lien fort avec mes personnages et les thématiques que je souhaite explorer dans un texte. Dans la Sorcière et le Protecteur (mes deux premiers romans, une duologie de romantasy publiée chez Nisha et Caetera) j’ai mis autant de moi, par touche, en Cal et en Yaraa. Le premier a mon anxiété généralisée, ma peur panique de ne pas être à la hauteur, tandis que la seconde est habitée par une colère salutaire, émotion à laquelle j’ai appris à me reconnecter au cours de ma vingtaine, et un instinct auto destructeur pas gégé (lié à son trouble de la personnalité borderline, diagnostique que nous partageons également). Ils n’en sont pas moins des personnages à part entière, avec leurs propres motivations, caractères et passés, mais cet ancrage reste primordial dans ma façon d’envisager l’écriture.
Comment pourrais-je alors me dissocier de ce qui arrive à mon roman ?
Ses réussites sont les miennes. Ses échecs aussi.
Si les ventes ne décollent pas, si les gens qui gravitent autour de moi ne l’achètent pas et ne le lisent pas… n’est-ce pas le signe d’un désintérêt envers ma personne ?
Si on n’aime pas mes écrits, c’est aussi moi qu’on rejette, non ?
Si on ne vient pas me voir en dédicaces, je peux le prendre personnellement, au fond.
Si personne ne le chronique, c’est qu’on a des griefs contre moi, forcément.
J’ai beau savoir que les réponses à ces questions ne sont pas aussi simples, je ne peux m’empêcher de baigner non seulement dans mon jus anxieux depuis la sortie, mais aussi une mer de doutes. Pourtant, le temps d’une séance chez ma psy ou d’une discussion avec des copaines, je me rappelle que je suis la première à entasser les livres sur ma pile à lire, et les sélectionner dans un ordre qui n’a rien de chronologique, mais aussi que mon anxiété rend la venue en dédicaces de l’autre côté de la table très compliquée. Je me souviens aussi que j’aime beaucoup certaines collègues autrices, sans avoir pour autant apprécié ou lu leurs romans. Ça arrive.
Le souci, c’est que si le négatif m’atteint, le positif autour de mes romans me glisse dessus comme de l’eau sur les plumes d’un canard. Je dois relire cinq ou six fois les avis positifs pour commencer à en comprendre et accepter le sens, alors qu’un retour mitigé me plonge dans une profonde réflexion. Je me pince encore quand je vois mon roman sur table, dans les mains de ses lecteurices ou sur les réseaux. La première fois que j’ai consulté ma psychologue après la sortie de ce premier roman, elle m’a dit qu’elle me trouvait comme déconnectée de ce qu’il était en train de m’arriver, et dont je disais pourtant rêver depuis le début de notre suivi (j’ai commencé à consulter ma thérapeute à peu près au moment où je reprenais sérieusement l’écriture). Et vous savez quoi ? Elle avait parfaitement raison.
Une géométrie variable.
J’ai une tendance à la dysrégulation émotionnelle (ou la difficulté à gérer des émotions intenses ou douloureuses) et vis souvent mes émotions en différé. Plus elles sont fortes, plus il y a de chance que j’expérimente un grand vide sur le moment et me prenne un effet boomerang catastrophique des heures, jours ou semaine plus tard – quand je laisse bien tout mariner dans ma cocotte-minute émotionnelle. Ça n’a évidemment pas loupé. Environ un mois après la sortie de mon premier roman, je me suis effondrée. J’ai vécu d’un coup tout le négatif que j’avais fourré sous un tapis dans lequel j’ai évidemment fini par me prendre les pieds. Et pouf, on se casse la margoulette. Un classique.
Et une fois redescendue de ma grosse crise de larmes – dont j’avais ô combien besoin – je me suis posée une question assez embêtante, après un constat initial. Bon, voilà, j’ai retrouvé toutes les peurs, l’angoisse et l’amertume liés à la sortie de mon roman. J’ai peur qu’il fasse un four, très bien. C’est possible, mais trop tôt pour le dire. Je suis fière de ce roman, c’est ça qui compte au fond, et qu’il trouve son public, le reste ne dépend plus de moi. Ouf, on est soulagée, toute légère, prête à cesser de consulter Babelio, Bookreads et Goodreads toutes les cinq minutes (j’y travaille encore). Mais… et le reste alors ?
Où sont passées toutes les émotions positives, qui doivent forcément représenter le second revers de la médaille de la publication de ma duologie ?
Je me suis rendue que j’avais brièvement ressenti de l’euphorie, un tantinet d’accomplissement en dédicace, en discutant avec de futur·e·s lecteurices et en les voyant repartir avec mon roman. Mais comme toutes les autres, j’ai étouffé ces émotions dans l’œuf. Je les ai bâillonnées, ligotées parce que c’est comme ça que j’ai appris à gérer mes sentiments, et que malheureusement, plus les enjeux auxquels ils se rattachent sont forts, plus mes mécanismes de défense sont dans les starting blocks.
Et c’est bien le problème : à force de vouloir me préserver des échecs éventuels de mon roman, je me suis complètement coupée de ce qu’il pouvait lui arriver de bien.
A shot to the heart… And I’m to blame.
Si des auteurices non prompt·e·s à l’auto sabotage sont présent la salle, qu’iels se manifestent ou se taisent à jamais… Non, ce n’est pas pour une amie, j’aurais grand besoin de leurs conseils.
J’ai conscience de ne pas être la seule à traverser ce gouffre post sortie et à en baver, même quand on a « réussi » en apparence et vu nos efforts récompensés par la publication d’un roman. Je n’étais pas naïve au point de penser qu’une fois en selle, lancée sur le chemin de l’écriture professionnelle avec un roman et bientôt deux en librairie, aucun obstacle sur la route ne me ferait tomber de mon cheval. Mais damn, je pensais manger des graviers à chaque déconvenue, puis me réjouir ensuite du positif qui viendrait contre balancer les choses. Je ne m’attendais pas à autant rester pendue dans le vide, la tête à l’envers, incapable de vraiment me réjouir alors que mon travail de ces derniers mois – et années, si on compte la rédaction des deux tomes de ma romantasy – portait enfin ses fruits, à l’imagine d’une de mes cartes de tarot préférée.
Je crois que contrairement à ce que veut l’adage, je me bien séparée de mon roman.
Inconsciemment, j’ai tellement angoissé à l’idée de souffrir des déconvenues qui pourrait entourer mes écrits que j’ai érigé des murs qui me séparent encore aujourd’hui du bonheur qui devrait les entourer.
Peu à peu, j’apprends à accepter qu’aucune loi de réciproque ne doit régir une publication.
Contrairement à ce dont je m’étais convaincue sans vraiment le verbaliser, je ne dois pas m’attribuer les réussites ET les échecs de mes textes. Je regarde un peu dans le rétroviseur, et quand je vois le sang, la sueur et les larmes versés dans les premiers jets, les réécritures, le travail éditorial et la communication autour de La Sorcière et le Protecteur, je sais que j’ai fait mon maximum – du moins, au regard de ma santé physique et mentale.
Si le roman trouve son public, ce sera un peu grâce à moi. Mais s’il échoue à se vendre de façon satisfaisante au regard du tirage initial, je n’ai pas à m’auto flageller. Ce ne sera pas de ma faute. J’aurais le droit d’avoir mal, certes. Cependant, j’ai cédé les droits d’exploitation de mes écrits à ma maison d’édition pour un pourcentage des ventes de l’ouvrage (les fameux droits d’auteurice). C’est aux professionnels du livre qui se feront eux aussi un bénéfice sur mon travail de défendre et de pousser mes écrits.
Et en attendant de savoir si cette duologie est un succès, j’ai le droit de profiter du simple fait qu’elle soit lue, appréciée et disponible. Je le répète :
Les réussites de mon roman seront les miennes, mais pas nécessairement ses échecs (et cela vaut aussi pour les vôtres).
J’ai tellement voulu me protéger avant la sortie de mon premier roman, j’ai tant voulu me dissocier de lui, que j’ai fini par rompre une connexion précieuse, que je tente de réparer aujourd’hui peu à peu. Je suis toujours fière de ce texte ; j’essaie dorénavant de l’être pour ce qu’il se passe de beau autour de lui.
L’édition n’a rien d’un long fleuve tranquille, et je commence à croire qu’aucune étape, la fin d’un premier jet comme une signature en maison d’édition, ne représente le bout du tunnel. Chaque nouvel élément, chaque borne de progression, vient avec son lot de doutes et de remise en questions. Serai-je capable d’écrire un second roman aussi bien que le premier ? Vais-je de nouveau connaître l’angoisse de l’attente et des soumissions ? Pourrais-je terminer tel travail édito conséquent à temps ? Est-ce que je devais m’essayer à un nouveau genre ?
Tant de questions, et tant de sujets possibles pour de futurs numéros de cette newsletter… En attendant, prenez soin de vous, que vous soyez auteurice en herbe, en cours de soumission, bientôt ou déjà publié·e. N’hésitez pas à m’écrire si vous avez envie de discuter de points que j’aborde ici, ou de me donner des idées de thématiques que vous souhaiteriez retrouver ici !
Bisous tapotage maladroit dans le dos,
Marêva. 💜
Si vous avez envie de me lire : Les deux tomes de ma romantasy, la Sorcière et le Protecteur, sont disponibles en librairie & en ligne. Si vous aimez les sorcières au caractère bien trempé, les chevaliers torturés par leur honneur, le slow burn, la magie et l’aventure, cette duologie pourrait vous plaire !
Côté actualité, je serai en dédicaces à :
📌 Strasbourg le samedi 24 août (librairie escapade, de 14h à 18h)
📌 Annecy le samedi 14 septembre (librairie 9ème quai romance, de 15h à 18h)
📌 Dijon le samedi 21 septembre (librairie Gibert Joseph, de 15h à 17h)À l’heure où je vous écris, le tome 2 de La Sorcière et le Protecteur vient de sortir, c’est donc le moment idéal pour découvrir ma duologie. 😇
Je me retrouve totalement dans ce post, écrit avec douceur et poésie comme toujours, merci pour ce précieux partage Marêva ♥︎