Long time no see ! Cette info lettre a pris une pause en janvier, car votre autrice de romantasy préférée serviteuse était épuisée et avait besoin de vivre dans une bulle, non pas de champagne, mais d’écriture, de jeu vidéo et de plaid.
Je suis devenue accro au Gwent, j’ai décimé plus de monstres dans the Witcher III que d’objectifs personnels, et ça m’a fait un bien fou. Mais surtout, j’ai avancé la rédaction de mon premier jet actuel, qui a passé le cap des 70k mots – oui, je suis une affreuse professionnelle du livre qui compte en mots, plutôt qu’en signes, sue me – sur les 90/95k que je vise. On tient le bon bout, comme dirait l’autre.
Et en écrivant une nouvelle romance, contemporaine, cette fois-ci, je me suis beaucoup interrogée sur la raison pour laquelle j’aimais autant écrire des personnages masculins. Si vous m’avez déjà lue ailleurs que dans cette newsletter, et ou avez même zieuté en librairie l’un des deux tomes de La Sorcière et le Protecteur, vous avez sans doute remarqué que deux personnages se partageaient la narration. Certains chapitres sont du point de vue de Yaraa, la sorcière du titre, d’autres de celui de Caolan – you guessed it, le Protecteur – ou parfois, les deux protagonistes interviennent tour à tour. Écrire une romance dans notre monde, après une duologie de romantasy, demande pas mal d’adaptations, mais je n’ai eu aucun doute sur mon envie de continuer de livrer les points de vue des deux protagonistes.
Pourquoi ? Déjà, pour la richesse narrative qu’un double point de vue permet d’instaurer. En romance, une des choses que je préfère, c’est distiller les raisons pour lesquelles chacun se retient d’aller vers l’autre, ou ce qui au contraire fait que le second protagoniste l’attire comme un aimant. Plonger directement dans la tête des deux zigotos à qui on va en faire baver tout le texte, ça me semble essentiel, et c’est même mon plaisir personnel – outre le fait de torturer mon lectorat, parce que même quand je ne veux pas faire du slow burn, ça prend un peu des plombes. Mais aussi, je crois que j’aime sincèrement écrire des hommes.
J’en discutais avec une amie autrice, qui me confiait avoir peur d’entrer dans la tête du personnage masculin principal en écrivant une romance à point de vue partagé, et de les « rater. » Et ma réponse – un « AH BON ?! » très éloquent – m’a donné matière à réflexion : pourquoi est-ce que je trouve ça aussi facile et agréable, d’écrire des hommes, alors que je suis une femme cis ? Est-ce que je ne devrais pas craindre un peu plus ces passages en question ? Aurais-je loupé une angoisse existentielle de romancière, moi qui pensais pourtant les collectionner comme Thanos les pierres d’infinité ?
Eh bien devinez quoi, on va dédier ce premier numéro de 2025 à ma manière d’appréhender l’écriture d’hommes en romance hétéronormée*.
(* et pas hétéro tout court, parce que je ne le suis pas, et souvent, mes personnages non plus ! J’ai dédié un post instagram à la question, mais non, une relation en apparence hétéronormée n’efface en rien la queerness des personnes concernées.)
♦ Je n’écris pas de love interest
Le premier constat que je me suis fait, c’est qu’avant d’écrire des zoms, j’écrivais surtout des personnages.
comment je me sens en posant cette punchline :
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Je vous l’accorde, ça sonne comme une évidence un peu débile, mais je ne pense pas que ça en soit une. J’ai l’impression que quand on doit promouvoir un roman où l’enjeu romantique est central, il faut automatiquement mettre en avant une héroïne à laquelle le lectorat pourra s’identifier et un love interest sur lequel il pourra fantasmer. Ce n’est pas du tout une dynamique d’écriture que j’ai en tête en préparation puis rédaction de premier jet. Moi, ce que je veux, c’est présenter deux personnages principaux qui vont tomber amoureux, se débattre avec leur psyché toute cassée, leurs caractères parfois mal assortis, ou un univers qui leur veut du mal. Ce qui m’intéresse, c’est de raconter comment leur relation naissante va les impacter et les faire évoluer.
Donc forcément, avec cet angle d’approche, obligé de me mettre dans leurs baskets ou leurs bottes à tous les deux – j’ai passé trois ans sur ma romantasy, pardon, les réflexes ont la vie dure. Je ne peux pas me contenter de leur donner un background vite fait, ou d’effleurer leurs émotions en surface. Les émotions, c’est le sel de la romance, du moins celles que j’ai envie de lire, et donc d’écrire. Et pour qu’une émotion sonne juste, pour qu’elle soit crédible, il faut que l’auteurice comprenne comment ses personnage la ressentent. Comment acceptent-ils ou au contraire refusent-ils ce qu’ils éprouvent ? Qu’est-ce que la présence et les actions de l’autre viennent réveiller, brasser ou attiser chez eux ?
En plus, je suis bisexuelle, et je prends grand soin de choisir des acteurices ou modèles visuels que je trouve à mon goût, pour représenter mes personnages. Dans la Sorcière et le Protecteur, j’ai autant un crush sur Yaraa que sur Caolan, et serait bien incapable de choisir entre eux deux, pour leur attribuer le rôle de love interest ou de protagoniste.
Et puis vous savez quoi, jamais ô grand jamais je ne veux aborder mes personnages masculins sous l’angle pur du fantasme. Ils sont bien plus que ça. Pour écrire un personnage crédible, quelque soit son genre, j’ai besoin de lui donner une part de moi. Je ne fais plus pas de self insert (pratique qui revient à se transposer soi-même en héros ou héroïne de ses écrits), mais je cherche une accroche, qui nous lie, chaque protagoniste et moi. Il peut s’agir d’un état ou d’une situation que j’ai vécue (la dépression, l’anxiété, l’errance professionnelle, une rupture, l’aliénation familiale…) et qui vient forcément évoquer un panel d’images et de sentiments pour moi, ou d’un trait de caractère ou élément distinctif que nous partageons, et qui vient colorer notre vision du monde. Bien sûr, chaque personnage est avant cela, un être de fiction guidé par le vécu touffu, différent du mien, et la trajectoire que je lui dessine, mais les bouts de moi que je glisse en eux me permettent de me sentir connectée à leur personnalité et de replonger dans l’écriture de leur chapitre avec aisance.
Impossible donc à mes yeux de développer un personnage, au détriment de l’autre. Mes romances risquent de toujours ce cimenter par un point de vue interne et approfondi par personnage, et mes hommes de papiers ne seront jamais des coquilles vides et appétissantes – beurk, j’ai la gerbe rien qu’en écrivant ce mot. Et puis, bien sûr que la plastique ça compte, sinon je n’aurais pas face casted Ana de Armas et Andrew Garfield pour mon manuscrit actuel. Mais ce qui nous fait tomber amoureux·ses de quelqu’un, c’est aussi son cerveau, ses forces, ses fêlures et tutti quanti.
Pas juste son énorme zboub charisme.
♦ Alexa, play « Comme un homme. ».
Comment écrire un vrai homme ?
Vaste question, alors de leur côté, ils semblent avoir la réponse à la question, dans le sens inverse. Il n’y a qu’à regarder l’exemple édifiant offert par de nombreux écrivains masculins. Il y en a des biens, évidemment, mais il y a quand même une tendance assez risible de certains auteurs à faire faire et dire n’importe quoi à leurs personnages féminins. Si si, vous voyez très bien ce que je veux dire ; se soupeser les seins devant le miroir – j’ai vraiment lu ça –, oublier de mettre une culotte pour aller au travail, serrer des cuisses en toutes circonstances, s’appliquer n’importe comment du maquillage… Oui, c’est un détail, ce dernier exemple, mais quand on est auteurice, on fait des recherches. C’est notre métier. Ça ne coute rien, de chercher « tuto mascara » sur YouTube, et on veut tous que nos romans soient réalistes, non ? Mais il se trouve que certains pensent tout savoir de ce qu’est, fait et pense une fâââme.
Si vous êtes anglophones et avez encore cinq minutes à perdre, je vous conseille ce fil Reddit, qui regorge d’exemples qu’on n’invente pas : https://www.reddit.com/r/menwritingwomen/
Quand elles n’ont pas la psychologie d’une huitre, les corps de ces personnages féminins font n’importe quoi. Pitié, qu’un·e professeur·e de biologie ou même de physique leur fasse un cour magistral sur les lobards. Le seins, ça ne rebondit pas comme des ballons de baudruche gonflé à l’hélium quand on entre en trottinant dans une pièce (et ça fait mal quand on court, punaise), merci bien. Bref, vous avez compris, je trouve cette vision de toutes les personnes genrées au féminin absolument abject, et je n’ai absolument pas envie de reproduire ça quand j’écris des hommes à mon tour.
Parce que malheureusement, cette vision, on la retrouve un peu dans certaines romances, genre où les plumes féminines dominent. Parfois, je suis tombée sur des protagonistes masculins qui ne pensaient qu’au cul, mais alors vraiment, toute leur vie, c’est soulever tout ce qui bouge, et dès qu’ils voient une “meuf bonne”, des voyants s’allument dans leur tête et ils passent en mode animal. Ce ne sont carrément plus les mêmes personne, dès que l’héroïne entre ligne de mire, et oh god, que ça me fait grincer des dents. Pareil avec l’obsession pour les érections. Je ne dis pas que le smut c’est mal – j’ai matière à faire un numéro complet pour traiter ce sujet, d’ailleurs –, au contraire, mais je ne comprends pas que chaque réaction d’un personnage masculin soit guidée par son petit colosse.
Quand on écrit un mec dont le cerveau se situe dans le slop, est-ce qu’on ne reproduit pas exactement l’écueil des hommes qui écrivent des femmes avec des seins comme des ballons ?
Est-ce qu’on a vraiment envie d’écrire les hommes comme eux nous écrivent ? (Encore une fois, pas tous les zoms, mais quand même pas mal.)
Est-ce qu’on s’est aussi remis du traumatisme collectif de la queue de Christian Gray, qui dans son spin-off – où il nous livre sa vision des choses pendant les évènements de Fifty shades – ACQUIESCE ? Bon, là c’est le niveau supérieur, certes, mais je ne souhaite pas que le pénis de mes protagonistes devienne à son tour un personnage principal. Au-delà du fait qu’il y a tellement de manière de décrire ou d’évoquer le désir, qu’on a peut-être autre chose à raconter que le pantalon tendu telle une tente à un piquet, est-ce qu’on a vraiment envie de réduire un personnage à une partie de son corps ? Peu importe le genre du personnage, d’ailleurs, mais est-ce que ce ne serait pas un peu fainéant en termes d’écriture pure, mais aussi terrible sur la portée sociale du truc ?
Je pense que vous l’aurez compris au fil des numéros de cette info lettre, ou simplement ce celui-ci, mais je suis une affreuse féministe un peu utopiste, qui a envie de croire que les représentations en fiction contribuent à leur échelle au changement des mœurs.
♦ Pas des dieux du stade, mais quand même des modèles.
Plus on écrit des hommes à la masculinité hégémonique – celle qui domine les représentations culturelles, l’idéal masculin vers lequel tendre si vous voulez, le musclé, le taiseux, la mâle alpha quoi – et au comportement de prédateur, plus on se rend complice du patriarcat. Banaliser les comportements toxiques, le non-respect du consentement, la « traque » de l’objet de son désir jusqu’à ce qu’elle cède, la jalousie et la violence, ce ne sont pas juste des écueils lassants à la longue, mais un vrai danger, sur le long terme.
À mon sens, la romance n’est pas là pour banaliser les comportements contre lesquels je me bats au quotidien. J’ai envie que mes romans fassent rêver le lectorat, tant par leurs univers, quand je me situe en imaginaire, que par les relations certes crédibles, parce que mes personnages restent des humains qui merdent, parfois, mais aussi lumineuses.
Du coup, j’ai envie d’écrire des masculinités alternatives.
Pas forcément révolutionnaire, peut-être pas réalistes. Je parlais tout à l’heure de se renseigner, mais écrire un homme, pour moi, ce n’est pas forcément comprendre physiologiquement ce qu’on ressent quand on bande comme un âne. C’est explorer le désir, certes, mais pas forcément au « masculin » avec tous les comportements genrés qu’on attribue aux rapports amoureux et sexuels. J’ai envie que mes protagonistes sachent aussi se montrer doux, passifs, hésitants, dans la vie comme au lit. J’ai envie de montrer qu’il n’y a rien de mal à se montrer vulnérable, à pleurer, à discuter de ses sentiments. J’ai envie que ces comportements soient ce qui fasse craquer mes héroïnes pour mes héros. J’ai envie de montrer que le masculin et le féminin, ce sont surtout des agrégats sociaux, et que c’est super sexy, un homme qui assume sa part de féminité, ou une femme qui explore sa colère, son autorité ou sa force. C'est peut être ça, la vraie part de fantasme de mes romances.
Au fond, je pense que c’est super important, de se demander ce qu’on trouve sexy, et pourquoi, ça éveille notre imaginaire. Je me suis rendue compte que ce qui me faisait rêver en romance, côté masculin, c’était les personnages avec des fêlures, des soucis de santé mentale, et qui se rebellaient, à leur manière, contre un dogme. Pour Cal, dans la Sorcière et le Protecteur, c’est son ordre religieux qui lui a bourré le crâne, et appris à combattre ses émotions « pour le bien commun », alors que notre bichon, il est très hypersensible – si vous ne voyez pas la métaphore du patriarcaca, je ne sais plus quoi faire.
Pour Aiden, dans mon manuscrit actuel, c’est l’industrie Hollywoodienne qui le force à démontrer qu’il peut rebondir après un divorce pour obtenir un rôle, ce qui le pousse à demander à Valentina de faire semblant d’être sa petite amie, alors qu’il avait juste besoin de cuver tranquillement une peine de cœur, à l’abri des regards. Aiden et Cal, tous les deux, ils pleurent. Ils trébuchent. Ils sont parfois intimidés par la confiance en eux des gens qui les entourent, alors que chacun à leur manière, ce sont de petits soleils.
Peut-être que j’ai besoin de les écrire ainsi pour les trouver désirables, et de ne pas me sentir menacée ou mal à l’aise quand j’explore leurs sentiments amoureux.
Je peux me rattacher à ces émotions, tout en les traitant sous l’angle de la pression que la société patriarcale fout sur les épaules de tout le monde, même les mecs. Ces sujets me passionnent, et sans être une sociologue amatrice – tout juste de comptoir – j’essaie d’alimenter mes réflexions sur ces questions pour nourrir mes récits et faire grandir ma plume.
Et puis au pire, si je n’écris pas des vrais hommes, est-ce que c’est si grave ? Après tout, quand on écrit de la fantasy, on ne sait pas vraiment ce que ça fait d’être un elfe ou un orque. On se projette, on construit les personnages les plus crédibles possibles, et on leur insuffle de quoi les rendre vivants aux yeux du lectorat.
Est-ce si terrible, si mes protagonistes masculins me ressemblent un peu ? Pensée à mon amie Anne-Maël, avec qui je discutais de ce sujet, et qui plaisantait sur le narcissisme latent dans le fait de tomber amoureuse de personnages à qui ont donne une part de nous. Elle m’a inspirée une réflexion : et si, ce qui vous fait tomber amoureux·se d’un homme de papier, ce sont les parts qui le rapprochent le plus de son autrice ? Est-ce que ce serait si grave ? Ça ne veut pas dire que vous devez remettre en cause toute votre sexualité, évidemment, mais que peut-être, on aurait toustes beaucoup à gagner en embrassant la complexité de nos expressions de genre.
Vous savez quoi, d’ailleurs, pourquoi est-ce qu’on part du principe qu’en romance, on sera forcément lu·e par des femmes ? Les modèles de masculinité alternative, on les imagine aussi et peut-être pour un lectorat différent. Je rêve que plus d’hommes lisent de la romance. Je suis aux anges quand lors d’une séance de dédicaces, quelqu’un se laisse tenter par mes romans, mais je suis encore plus heureuse quand il s’agit d’un homme. C’est rare, parce que le genre souffre encore de beaaaaaucoup de stigmates, mais c’est beau. Certains m’ont dit que Cal leur avait fait beaucoup de bien, et ça m’a vraiment émue.
Je suis aussi très touchée quand des lectrices me disent que La Sorcière et le Protecteur était la romantasy qu’elles cherchaient depuis longtemps, parce que justement, il y a peu de scènes de sexe, beaucoup de places laissées aux émotions des deux côtés, et que Cal est doux, mature, prévenant, et super sexy, donc. Vous voyez, il y a même un public pas si niche, pour ce genre d’écrits romantiques. ♥
Here’s hope, comme on dit.
Et pour le mot de la fin, je résumerais ces 2600 mots – 15 595 caractères, espaces comprises, pour les puristes – ainsi : pour les écrire, je ne cherche pas à me mettre dans le slip des hommes, mais dans leurs baskets, avec beaucoup d’empathie, un peu de fantasme, et une bonne dose de savoir faire.
Des bisous, et prenez soin de vous !
Marêva. 💜
Si vous avez envie de me lire un peu plus : Les deux tomes de ma romantasy, la Sorcière et le Protecteur, sont disponibles en librairie & en ligne. Si vous aimez les sorcières au caractère bien trempé, les chevaliers torturés par leur honneur, le slow burn, la magie et l’aventure, cette duologie pourrait vous plaire !
Côté actualité, je serai en dédicaces à :
📌 Strasbourg, au festival Escapade, les 15 et 16 février
📌 Rouen, au festival Pile à Lire, le 22 mars
Une masterclass, tout simplement 👏